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Société libre d'Emulation - Liège (Belgique)

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27 octobre 1999

DÉVELOPPEMENT ET ÉVOLUTION DU CERVEAU
conférence par M. Alain PROCHIANTZ, Directeur de recherches au CNRS

Présentation : Carmélia OPSOMER - HALLEUX
Débats : Philippe TEUWEN et Mohammed BENTIRES (Polygone du Libre Examen)

"Observons un calamar face à un prédateur : mouvement de recul, agitation des tentacules, jet d'encre, mise à profit de quelques secondes ainsi données par l'aveuglement pour une fuite éperdue et la recherche d'une cache. Très franchement ne dirait-on pas qu'il pense?

"Evidemment, nous savons bien que ce comportement n'est pas le résultat d'une réflexion déclenchée par la vision du signal ennemi. Le mollusque n'a pas conscience de ses actes, du moins au sens où nous, les êtres humains, entendons ce terme. Il reste que nous sommes un produit de l'évolution des espèces et que - cela peut ne pas plaire, mais c'est ainsi - nous partageons un ancêtre commun avec le poulpe ou encore la mouche .

"Même si la structure de notre cortex et l'invention du langage permettent que ce soit nous qui écrivions sur les poulpes (ou les mouches) et non l'inverse, il ressort de ces parentés évolutives que les autres espèces animales, y compris les invertébrés, ont quelque chose à nous apprendre sur la nature de notre pensée."

(Alain PROCHIANTZ, Anatomies de la Pensée, éditions Odile Jacob).


compte-rendu par le Dr Emile MEURICE, médecin psychiatre.

Le problème de l'organisation embryologique

Au départ d'un oeuf de poule, de canard, de mouche, il se développera toujours un poulet, un canard, une mouche. Bien que ce fait soit évident, il devrait être source d'étonnement car un oeuf n'est qu'une cellule et un être vivant, c'est beaucoup de cellules. Cela suppose que, de génération en génération, il y ait comme un plan qui circule - plan qui rappelle l'espèce. La théorie ancienne des emboîtements supposait qu'un schéma d'homunculus, c'est-à-dire d'une représentation en miniature de l'être à venir, existant à l'origine, se réalise au cours du développement. Mais cette théorie a été abandonnée après que les recherches modernes sur l'oeuf n'aient rien révélé qui ressemblât à une matrice du type homunculus. Le développement résulte, en fait, d'une série de divisions, de mouvements, de différenciations des cellules dont les mécanismes font aujourd'hui l'objet de l'embryologie.

Certaines données plus récentes amènent cependant à envisager un type d'organisation qui n'est pas sans ressemblance avec l'ancienne théorie des emboîtements.

Des mutants de Bateson (1861-1926) aux gènes architectes.

"Le phénomène d'homéosis a été décrit pour la première fois par Bateson en 1894. Il consiste en une modification d'un organe qui adopte partiellement ou totalement la morphologie d'un organe homologue "
(Alain PROCHIANTZ, Les Anatomies de la Pensée, Paris, Odile Jacob, 1997, pp. 41-42 et p.30).

En étudiant des lignées de Drosophile, Bateson a vu apparaître des mutants. Ceux-ci présentaient, par exemple, des organes déformés ou situés à des endroits du corps atypiques comme, par exemple, une patte à la place d'une antenne, une aile à la place d'un oeil. On pouvait en conclure qu'il doit exister des gènes déterminant l'endroit du corps où se développent les organes.

En séquençant ces gènes, les généticiens se sont rendus compte que tous ces gènes se ressemblaient, non seulement ils se retrouvaient chez toutes les espèces mais ils étaient situés sur le même chromosome. De plus, les organes qui se situent anatomiquement en région antérieure sont localisés à une extrémité de ce chromosome et ainsi de suite. Il existe donc sur le chromosome une image de l'être à venir, une représentation du corps du type homunculus. On parle alors de gènes architectes.

Si l'on examine l'A.D.N. de souris, on trouve que les souris ont des gènes qui ont la même fonction que certains gènes de la mouche mais la souris en a quatre fois plus (quatre homunculus!). Les gènes responsables de la localisation et de la disposition antéro-postérieure d'organes chez la mouche se retrouvent dans la même position sur les gènes de la souris au point qu'on puisse prélever un gène de la souris et le placer sur celui de la mouche ou vice-versa et cela fonctionne.

Cette découverte est importante parce qu'elle montre que l'évolution de ce système de planification remonte effectivement à 600 millions d'années quand, issus d'un ancêtre commun, se sont différenciés d'une part les invertébrés - vers, mollusques et arthropodes - et d'autre part les chordés avec Amphioxus sur lequel s'est développé le phyllum (la lignée) des vertébrés (où l'on passe de un à quatre chromosomes).

Tout ce qui précède concerne la construction du corps et du système nerveux central jusqu'aux ganglions de la vie neuro-végétative.

Et le cerveau ...

Il existe pour le cerveau des gènes de développement comparables à ceux dont on vient de parler. On en a déjà retrouvé dans les ganglions du cerveau de la mouche (gène O.T.D.). On a aussi trouvé leur cousin dans le cerveau des souris (gènes O.T.X.1 et O.T.X. 2) avec la même analogie structurale.

Jusque-là, on croyait que le cerveau était le résultat d'une évolution récente, radicalement distincte des ganglions qui constituent le système nerveux central et céphalique des animaux inférieurs. Mais, puisqu'on trouve les mêmes gènes de développement chez la mouche, on peut supposer qu'ils se trouvaient aussi chez l'ancêtre commun. On sait, par exemple, que O.T.X. 2 et O.T.D. sont interchangeables entre la souris et la mouche. Quant à O.T.X. 1, il est survenu plus tard, quand sont apparus les poissons à mâchoires et quand l'oreille interne s'est développée.

On voit ici se dessiner le lien entre notre génétique, l'évolution et le développement embryologique individuel. Certes nous ne sommes pas des mouches, mais les mouches, comme tous les organismes vivants, peuvent nous apprendre beaucoup de choses au sujet de notre propre organisme, même pour les parties les plus nobles.

La grande innovation du système nerveux pour les vertébrés, c'est l'invention de la structure plane. Si la sélection naturelle, jouant au niveau des animaux primitifs, avait conduit à un accroissement continuel de la dimension des ganglions nerveux, cela aurait constitué un danger du point de vue de la vulnérabilité parce que le rapport surface/volume eut été très défavorable. L'apparition d'une structure plane plissée et repliée sur elle-même - le tube neural - augmente considérablement la surface qu'il est possible de loger dans un volume limité avec en outre un accès facile pour la vascularisation des cellules nerveuses. On en arrive ainsi à ce que le cerveau humain puisse atteindre une surface utile de plus de 2 m_ avec une épaisseur de ± 3 mm seulement, logée dans une boîte cranienne de dimensions modestes (± 1400 cm3).

Non seulement le cerveau a augmenté de façon globale au cours de l'hominisation progressive mais la surface dévolue à des fonctions spécifiques a évolué elle aussi. C'est ainsi que, chez l'homme, les aires olfactives ont considérablement diminué par rapport aux quadrupèdes, probablement parce que ceux-ci doivent glaner des informations en flairant au niveau du sol. D'autres fonctions encore se sont atrophiées. Ce sont les gènes du développement structurel qui sont responsables des modifications de ces différentes fonctions.

Incidemment, on relèvera qu'il est remarquable que l'on travaille toujours actuellement sur la base de concepts introduits par des biologistes de la deuxième moitié du XIXème siècle, entre 1830 et 1880, Bernard, Charcot, Darwin, Mendel, ... vivant dans l'aire limitée située entre Berlin, Londres, Paris et Vienne!

L'influence du facteur temps

Ce n'est pas la nature des gènes qui a changé parmi les êtres plus évolués, c'est leur durée d'expression et ils se sont par ailleurs dupliqués. Parfois aussi, cependant, on assiste à une simplification dans le processus de développement.

On a tendance à ne considérer l'action des gènes que chez l'embryon. Mais elle existe tout au long de la vie, y compris chez l'adulte, où l'on a montré qu'ils sont toujours en activité et qu'ils s'expriment jusqu'à la mort. Mais peut-être ont-ils acquis chez l'adulte une nouvelle fonction?

Les premières indications de l'action des gènes à l'état adulte sont venus de l'étude des centres cérébraux du chant chez le canari. Ces neurones perdus chaque automne se développent à nouveau avant la période du chant.

On a trouvé aussi que les cellules du lobe olfactif se renouvellent en moyenne tous les mois. Il en va de même dans l'hippocampe. Plus récemment, il a été prouvé que les structures responsables de la mémoire se régénéraient également (KEMPERMANN & GAGE, New Nerve Cells for the Adult Brain, Scientific American, pp. 38-43, May 1999.). Donc le cerveau, contrairement à l'idée fixiste que l'on en avait, est un organe qui se renouvelle en terme de nombre de neurones mais aussi en terme de modification de leur forme. Le cerveau n'est pas un ordinateur à structure fixe. Les synapses s'étendent, bourgeonnent, changent de forme, se relient : c'est la néoténie, c'est-à-dire "le maintien de caractéristiques embryonnaires, donc un ralentissement du temps de développement chez un organisme sexuellement mature (*)". Par exemple, le système pileux de l'homme et la position des orteils correspondent à une phase embryonnaire chez le jeune singe. Cela signifie que l'être humain reste jeune et conserve jusque tard dans sa vie un potentiel de renouvellement.

Le rôle de l'histoire

Le cerveau ne se forme pas de façon aléatoire mais en fonction de notre histoire. Certaines implications sont importantes. Une personne que l'on rencontre aujourd'hui est tout autrement constituée qu'il y a dix ans. A la suite de l'histoire évolutive, notre "oeuf" ne peut conduire qu'à un Homo sapiens. Cela n'a pu arriver qu'une fois. Cela détermine l'enveloppe des possibles. Mais dans cette enveloppe, il y a, pour un individu donné, une multitude de possibilités de différenciations. Elles dépendent des interactions physiques ou affectives que l'individu va développer avec le monde qui l'entoure. Le cerveau se construit par interactions avec son environnement et ce processus ne s'arrête jamais ni ne revient en arrière.

Ce fait confirme qu'il n'y a pas de destin génétique : c'est l'individuation. Si on ne peut se développer que comme individu, par contre nous sommes des individus sociaux. Il y a dû avoir, très tôt, une contrainte biologique pour que l'on doive vivre ensemble. Il n'y a pas non plus de gènes de comportements moraux. On a cherché dans le cerveau des structures de l'amour maternel, de la violence, de la fidélité conjugale, de l'homosexualité,... Les journaux en ont fait grand bruit. Les comportements moraux, les règles sociales sont bien entendu indispensables mais elles sont déterminées par la vie en société. Elles ne sont pas les mêmes en Papouasie ou en France. Ce n'est pas la biologie qui peut nous éclairer à ce propos mais l'anthropologie.

Incidemment on peut se demander pourquoi des biologistes se trouvent dans les comités d'éthique ? Ne pourrait-on pas plutôt penser que ce serait la place des philosophes ?

Qu'est-ce que la pensée ?

La pensée ne peut se définir comme un objet matériel, ce n'est pas une substance, ni une sécrétion, elle n'est pas "déposée dans le cerveau". La définition que l'orateur en donne est qu' elle est le rapport adaptatif de l'individu vivant avec son milieu. Un rapport n'a pas de substance ni de localisation précise. Tous les êtres vivants qui sont adaptés à leur milieu ont une pensée : la plante qui modifie sa croissance et son développement en réponse aux stimuli extérieurs, le calmar qui projette de façon instinctive son encre vers son prédateur, ... Mais chez l'Homo sapiens, c'est l'individu qui s'adapte, ce n'est pas l'espèce. C'est une modification essentielle de son comportement par rapport aux autres espèces animales ou végétales. Il y a certes des gènes mais, par le biais du temps, nous avons des stratégies de développement qui nous permettent de nous adapter individuellement au monde extérieur. Des individus clonés ne seront jamais identiques.

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janvier 2004 - mise à jour : 12 janvier 2004